L'iconoclaste continue sa promo! Après la soirée de lancement du 6 mai dernier aux Editions du Pacifique et la présentation à la librairie des Tropiques le 20 juin, de nouvelles dates sont programmées :
- Jeudi 28 août à 19 h, Maison des associations du 7e arrondissement, 4 rue Amélie. Dans le cadre de "l’Eté solidaire", Boris Martin présentera son livre. Projection de 200 photos couvrant la vie du consul. Lecture de ses textes.
- Vendredi 17 octobre à 18h, librairie du Phénix, 72 boulevard de Sébastopol, 75003. Nous avons le plaisir d'accueillir Boris Martin pour la présentation de son ouvrage sur Auguste François publié en mai dernier par les Editions du Pacifique, L'iconoclaste : L'histoire véritable d'Auguste François, consul, photographe, explorateur, misanthrope, incorruptible et ennemi des intrigants. Cette présentation sera accompagnée de l'inauguration d'une exposition de photographies prises par le consul lors de son séjour en Chine à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
D'autres interventions sont prévues, mais restent à confirmer et préciser : en décembre dans la ville de Vendôme, en mars-avril à la Maison de la Chine...
En attendant, on peut écouter l'interview que j'ai donnée au site FranceFineArt.
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Cette page promotionnelle tournée - ce qui aurait déjà fait grincer des dents l'homme dont je vais parler -, je voudrais évoquer un sinologue qui vient de disparaître: Simon Leys. J'ai appris la nouvelle via Rue89, site sur lequel on apprendra beaucoup de choses sur cet intellectuel pas comme les autres (c'est-à-dire qu'il en était un vrai). On en profitera également pour se reporter à un article paru dans la revue belge Textyles qui lui avait consacré un dossier en 2008, puisque Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans, était belge.
Je ne le connaissais pas personnellement, mais cet homme m'accompagne depuis longtemps. Il m'intriguait par sa discrétion : il avait fait le choix de s'installer en Australie (considérant notamment que l'on observe mieux le monde lorsque l'on est à ses marges), ne faisant parler de lui qu'à travers ses essais qui sortaient à intervalles réguliers, petites pépites souvent récompensées, toujours saluées. Il m'enthousiasmait par sa rigueur, sa liberté - voire sa rudesse - de ton. Il m'apprit beaucoup de choses sur la Chine mais aussi sur la littérature française et américaine puisqu'il était également critique littéraire.
Il s'était fait connaître en décryptant, à la fin des années 1960, la manœuvre politique de reconquête du pouvoir que Mao avait dissimulée sous le mirage de "Révolution culturelle" auquel beaucoup d'intellectuels occidentaux avait cru. Patiemment, depuis Hong Kong, il en avait tenu la chronique jusqu'à publier "Les habits neufs du président Mao", édité grâce au soutien des Situationnistes français. Par la suite, il creusa le sillon de cette lecture critique aussi bien des gouvernants chinois dévoyant une culture millénaire que des Occidentaux n'ayant jamais compris grand chose à celle-ci. Il ne s'y cantonna pas pour autant, loin de là, s'éloignant le plus souvent possible de ce qu'il considérait sans doute comme un devoir pour aller vers ce qui l'intéressait vraiment. Au gré d'un éclectisme jubilatoire, il écrivit aussi bien sur la peinture et la littérature chinoises que sur la mort de Napoléon, le naufrage du Batavia (un navire de la Compagnie des Indes orientales qui coula au large de l’Australie en 1629) ou plus largement encore sur "La mer dans la littérature française de François Rabelais à Pierre Loti"... Tout cela, il le fit en mettant un soin particulier à dévoiler les imposteurs, les poseurs, les intrigants. Il était un vrai iconoclaste.
D'autres avaient d'ailleurs songé pour moi - car je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse y porter un quelconque intérêt - à lui demander de préfacer mon dernier livre dont le titre lui serait allé comme un gant. Des antipodes, où nous lui avions fait parvenir une version papier du manuscrit (Leys était semble t-il réfractaire aux e-mail), il avait opposé un silence assourdissant (oui, un oxymore dont il aurait fait une bouchée). D'une certaine manière, il ne m'avait pas déçu, une fois de plus. Pour la petite histoire - et pour être totalement sincère -, j'avais de mon côté sollicité Jean-Christophe Rufin pour qu'il m'accorde cette préface. Je n'eus pas davantage de réponse. De la difficulté d'obtenir le saint sacrement d'une personnalité pour faire parler de son livre... Le directeur des Archives diplomatiques, Richard Boidin, y consentit et je le remercie encore ici de son excellent texte.
Mais j'en reviens à Simon Leys pour conclure par quelques extraits piochés ça et là au hasard de la relecture à laquelle sa mort m'a inévitablement convié :
- dans l'avant-propos à son essai Ombres chinoises, évidemment critique à l'encontre des soi-disant réussites du régime de Mao, j'aime la manière dont il assassine ceux qui ont pu s'en faire les hérauts: "ceci a déjà été fait en Occident par d'illustres professionnels mieux qualifiés que moi; je pense par exemple aux ouvrages de Mme Han Suyin [...], aux livres et articles d'Edgar Snow, à tel article du professeur Fairbank [...]. Mon petit livre loin de nourrir l'impudente ambition de rivaliser avec ces écrits, et moins encore de s'inscrire en faux contre eux, voudrait simplement leur servir de modeste complément, leur apportant ces quelques touches d'ombre sans lesquelles les portraits les plus lumineux restent privés de relief, ou encore leur prêtant comme un contrepoint de notations marginales sur des détails qui, pour des raisons diverses, peuvent avoir été négligés par ces prestigieux témoins." C'est tout de même une façon autrement élégante de traiter ces "illustres professionnels" d'imbéciles...
- dans L'ange et le cachalot, il dresse un portrait pour le moins nuancé de l'auteur de La Condition humaine : "A la mort de Malraux, un hebdomadaire parisien me demanda d'écrire une page sur le thème : qu'a représenté Malraux pour vous ? Je crus naïvement qu'on souhaitait la vérité; je la livrai donc en toute innocence - mais la rédaction fut horrifiée et l'envoya aux oubliettes. Et pourtant mon papier ne faisait que répéter une banalité bien connue des critiques étrangers les plus divers - de Koestler à Nabokov - qui avaient passé un bon demi-siècle à traiter Malraux de phoney - de charlatan". Pour autant, si la charge semble sévère, l'intégralité des développements de Leys rendent autant hommage à Malraux qu'à la fameuse formule de Beaumarchais : "Sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloge flatteur". Car Leys écrit aussi : "Malraux pouvait être visionnaire et ridicule, héroïque et absurde - il ne fut jamais médiocre. (Et ses aventures inspirèrent l'enthousiasme de nos vingt ans : si nous devions oublier cela, nous oublierions la meilleure part de notre jeunesse.)"
- dans l'avant-propos aux Essais sur la Chine, évoquant le dissident Wei Jingsheng, sa libération après 18 ans de captivité et le fait qu'il reprit son propos là où il l'avait laissé avant d'être incarcéré, Leys évoque une autre figure : "Fray Luis de Léon, qui enseignait à l'université de Salamanque au XVIe siècle, eut maille à partir avec l'Inquisition. On le jeta en prison. Quand il reparut après plusieurs années, il commença son cours de rentrée avec ces mots : "Je vous disais l'autre jour...""
- enfin, puisque cet homme était en effet doué pour ses avant-propos qui, et c'est rare, peuvent former un seul objet de lecture, il intitula celui de son livre Les naufragés du Batavia "Le livre qui ne fut pas", référence à une formule de Segalen dans le livre René Leys qui lui donna l'idée de son pseudo. Ce liminaire commence ainsi : "Il vous est venu une superbe idée dont vous rêveriez de faire un livre ? Ne vous empressez pas de passer à l'exécution; ce n'est pas nécessaire, car vous pouvez être sûr que, tôt ou tard, quelqu’un d'autre aura la même idée... et en fera un usage parfait." S'en suit l'explication : depuis 18 ans (lui aussi...), il envisageait d'écrire un livre sur l'histoire des naufragés de ce navire, collectant des milliers d'informations, se déplaçant sur le lieu du drame, frémissant lorsque des ouvrages (heureusement mauvais) sortaient sur le même thème, jusqu'au jour où sortit LE livre-somme (qui n'était pas le sien)... Simon Leys admit qu'il n'y avait plus grand-chose à écrire de plus et s'il le fit, ce fut pour conclure son avant-propos par cette phrase rendant hommage au Batavia's Graveyard de Mike Dash : "en publiant les quelques pages qui suivent, mon seul souhait est qu'elles puissent vous inspirer le désir de lire son livre."
Voilà. Je ne connaissais pas Simon Leys et je crains que ces quelques passages ne rendent pas justice à la totalité de son oeuvre, multiforme mais certainement pas disparate tant elle bénéficie d'une colonne vertébrale manifestement composée de la moelle d'un homme qui, jamais, n'a renoncé à ce qu'il était. J'espère en tout cas que ces lignes vous donneront l'envie de le lire.
Pour finir, un poème de Lu Xun que Simon Leys avait apposé en épigraphe de ses Essais sur la Chine :
"M'étant mêlé d'écrire, j'ai été puni de mon impudence;Rebelle aux modes, j'ai offensé la mentalité de mon époque.Les calomnies accumulées peuvent bien avoir raison de ma carcasse;Tout inutile qu'elle soit, ma voix n'en survivra pas moins dans ces pages."